Egami . Mochizuki . Murakami

 

Selon la religion Omoto : " La cause première de l'univers est la vitalité, qui est Divinité. L'univers est la manifestation de la vitalité ". (Jean Herbert, Spiritualité hindoue, p. 268-271)


Maître Inoue : J'ai appelé mon art Aïki Budo jusqu'en 1956, puis lui ai donné moi même celui de Shinwa Taido*. C'est la raison pour laquelle il ne convenait pas très bien. J'aurai dû l'appeler Shinwa budo, mais comme ce nom était déjà utilisé par d'autres j'ai pensé que Taido ferait l'affaire. Je n'ai pas fait suffisamment attention à ce problème.

* Shinwa Taido est la voie de l'affinité physique. Inoue Sensei utilisa ensuite le nom de Shinei Taido.

p. 48


Maître Inoue : (l'enseignement) Je pratique tous les jours et je prie les kami** que tout se passe bien. Il est plus agréable de consacrer du temps chaque jour à prier les kami. Je m'entraîne très sérieusement chaque jour. Une erreur peut coûter une vie. Une erreur peut blesser votre partenaire. Si vous blessez votre partenaire pendant l'entraînement, vous connaissez alors la réalité de la défaite et vous êtes un être humain de la pire espèce. Le véritable esprit des arts martiaux japonais est une épée à double tranchant. Avec une telle épée vous vous coupez vous-même mais vous laissez vivre les autres. Quand vous entendez l'expression "épée à double tranchant" vous pensez peut-être que c'est votre adversaire qui doit être coupé, mais il n'en est rien. Quand vous tirez votre arme pour trancher instantanément votre adversaire, vous voyez s'il se rétracte ou s'il se prépare à attaquer. C'est une manifestation de l'affinité, dont l'origine remonte à l'ancien Japon.
Les souillures ne restent jamais bien longtemps sur les corps de ceux qui pratiquent dans notre dojo. Elles partent avec la transpiration. Et chez nous personne n'a jamais été blessé. Si vous pratiquez de telle manière qu'il y ait des accidents il vaut mieux vous arrêter complètement. Un bébé est flexible par nature. Nous devons nous retrouver dans l'état d'un enfant nouveauné.
C'est ainsi que devraient se comporter les êtres humains. Il y a des gens qui ne se remettent pas facilement quand ils ont été blessés. Ce genre de personne n'arrive pas à transpirer correctement. Votre sueur devrait couler en profusion du plus profond de votre être. Le meilleur moment pour étudier est la saison des pluies. Pendant cette période nos corps deviennent moites et l'élimination de la transpiration devient difficile. Nous avons un entraînement spécial qui commence pendant la saison des pluies et qui se termine pendant la période la plus chaude de l'été. Quand l'automne arrive, la pratique devient rafraîchissante.
C'est la même chose pour le riz. Il n'est jamais aussi bon qu'en automne. Son goût est vraiment délicieux. Puis revient l'hiver. Pendant cette saison, le jeune plan de riz sort de l'eau. Pendant la pratique hivernale, le plus petit mouvement vous réchauffe.
Les gens disent que leurs os sont plus fragiles pendant cette période, mais en fait l'entraînement d'hiver est de loin le plus facile. La pratique diffère suivant les quatre saisons. Si elle est toujours semblable elle n'est pas correcte. Nous-mêmes, nous sommes différents tout au long de l'année. Si nous portions toujours les mêmes vêtements qu'il fasse froid ou chaud, ce serait affreux ! Ainsi, la pratique varie suivant les saisons dans tous les pays du monde. Dix peuples utiliseront dix méthodes différentes.
Mon enseignement semble toujours le même quand il est observé par une tierce personne, mais il est en réalité complètement différent. Vous ne pouvez pas enseigner un programme de cours élémentaire à des enfants de maternelle. Un élève en classe élémentaire ne peut pas étudier comme un lycéen dans le secondaire. Grâce à une pratique journalière vous commencez à acquérir une véritable souplesse dans tout votre corps. Quand vous possédez cette flexibilité, vous pouvez alors commencer à utiliser le sabre ou le bâton pour la première fois. Si vous manquez de souplesse, vouus vous romprez les os en utilisant ces armes. Si vous frappez une personne inflexible avec l'épée ou le bâton, vous la jetez à terre instantanément. Au cours des années, j'ai mis au point un principe très simple. Il n'a rien à voir avec la force ou la faiblesse. C'est la réalit‚ du principe d'affinité qui est la plus forte. Nous appelons cette force "réalité du ki" [iki] plutôt que "Aïki". Nous l'étudions à travers la réalité de iki.
Je dis souvent à mes élèves que la force ou la faiblesse sont sans importance. Si vous avez un courage sans faille et une "légère brume de souffle", vous n'avez plus à vous inquiéter. Je peux parler d'expérience. Je pourrais facilement vous jeter dehors si je le voulais ! Toutefois il n'y aurait aucune justification à un tel acte. Bien que nous venions de contrées différentes et que nous utilisions des langages différents, nous sommes en vie grâce au pouvoir du ki universel, pas du kokyu. Chaque kokyu est différent, ce qui n'est pas vrai pour le ki. C'est parce que le ki de l'univers est unifié que nous sommes en vie. J'étudie ces choses depuis très longtemps avec mes élèves.
Cela ne me gênerait pas de n'avoir qu'un élève s'il croyait vraiment en moi et trouvait ma pratique intéressante. Le contenu de mes cours ne changerait pas quel que soit le nombre de mes étudiants. Si un jour il y a peu d'élèves, ce ne serait pas correct d'interrompre les cours pour cette seule raison. Et j'arrête toujours mon enseignement quand il est l'heure. Ce qui me gêne c'est qu'il est impossible de faire quoi que ce soit si les gens, en général, ne vous aiment pas. Une classe doit attirer des élèves.
C'est seulement quand votre classe et vous-même êtes aimés que de belles choses peuvent se réaliser. C'est pourquoi je m'examine sans cesse. Je suis très concerné par les problèmes que pourraient causer à mes grand-parents, Yoroku et Yuki, et aussi à ma mère, tout ce que je vous ai dit. Ce que je dis ne doit pas blesser mes ancêtres. Si je suis le seul blessé, aucun problème. Toutefois, des membres de ma famille sont eux aussi concernés. En outre, il faut considérer le merveilleux Révérend Onisaburo Deguchi de la religion Omoto. C'est pourquoi je ne veux pas que l'on écrive des mensonges à mon sujet. Si une personne dit la vérité, je veux bien coopérer avec elle.

** Kami. Divinité Shinto. Peut être utilisé au pluriel ou au singulier.

p. 48, 49, 50, 51.


Maître Inoue : (sabre) J'ai aimé le sabre depuis mon enfance. J'ai lu de nombreux livres sur les maîtres du sabre et j'ai été très impresionné par les exploits des anciens samouraïs dans le Koshindo*. I1s abattaient leurs adversaires par la seule force de leur regard. Mon escrime est personnelle ; je n'ai jamais étudié avec qui que ce soit. Mon style n'a rien à voir avec celui des autres écoles. Mon art n'est pas ce que l'on appelle de nos jours Aikido et ce n'est pas non plus un art martial traditionnel. Je suis vraiment un ignorant mais je cherche depuis mon enfance. Onisaburo Deguchi est le premier qui m'ait enseigné ce que devrait être la réalité de l'affinité telle qu'elle apparaît dans la philosophie de l'affinité universelle.
C'est quelque chose que je n'avais pas réussi à comprendre pendant mes études. La réalité de l'affinité universelle est en mouvement. Elle ne s'arrête jamais. Si la réalité de l'univers devait s'interrompre, tout mourrait. Ainsi, les choses doivent être créées pendant que ce mouvement persiste. C'est grâce au Révérend Deguchi que j'ai appris la puissance de la vertu qui jaillit de la réalité décrite par la philosophie de l'affinité. L'homme doit cultiver le courage qui est créé par cette puissance vertueuse. Si vous réussissez à cultiver votre courage, vous contribuerez d'une myriade de façons à la réalité de la création. Sans ce courage, le plus grand expert ne peut rien inventer de valide. Ce fut le point de départ de mes recherches. J'ai vieilli et je ne comprends toujours pas. Je doute que vous puissiez comprendre les paroles de quelqu'un qui ne comprend pas lui-même ce qu'il a passé sa vie à étudier !
Je parle comme un autodidacte. Je n'ai reçu l'enseignement de personne, bien que la religion Omoto m'ait donné des indications quant à la substance de l'univers. Dans la mesure où ce que je fais est mon propre style, je n'appelle pas mon art l'école de ceci ou de cela devant qui que ce soit. Toutefois, je peux dire clairement que nous cultivons notre courage grâce à la vertu produite par la Grande Affinité de l'univers. Sans une compréhension précise de ce point, des choses étranges peuvent affecter l'affinité universelle. Je ne veux pas que cela puisse arriver car je ne saurais pas comment présenter mes excuses au Révérend Deguchi.

* Koshindo, ancienne Voie des Dieux, apparaît dans le plus ancien livre du Japon, écrit en 712, Kojiki [Annales de faits anciens].

p. 51-52


Maître Inoue : (sa philosophie) [Ainsi que je l'ai déjà dit,] je suis un adepte de la religion Omoto et un élève du Révérend Onisaburo Deguchi. Il fut mon seul professeur. Personne d'autre que lui ne pouvait m'enseigner de telles choses. Si quelqu'un vous a enseigné une chose, il vous en a enseigné cent, mille ou dix mille. La seule chose importante est de savoir si vous voulez vraiment les apprendre. La première chose que Deguchi Sensei m'ait apprise, c'est à couper du bois. Quand j'étais à Hokkaido, j'en avais coupé tous les jours, mais je travaillais sans réfléchir. Je ne comprenais pas pourquoi je le faisais, mais pour saisir l'essence de la réalité, il faut couper et fendre du bois. Deguchi Sensei me dit de lui apporter une scie et une hache, ce que je m'empressai de faire. Il coupa et fendit le bois devant moi et me demanda si je comprenais. Je répondis que oui. C'est là l'essence de la réalité, les choses sont créées parce que nous bougeons. Rien n'est créé par la théorie. Vous êtes venu parce que vous vous êtes mis en mouvement. C'est grâce au mouvement que nous pouvons parler comme nous le faisons. Les êtres humains devraient travailler. Nous sommes nés pour travailler et je travaille toujours malgré mon âge. Si je travaille je suis jeune, je parle à des jeunes.
C'est le Révérend Deguchi qui m'a fait réaliser l'essence du budo pour la première fois. Jusque-là, je ne comprenais pas du tout. Je pensais qu'il fallait être fort parce que dans les temps anciens c'est tout ce qui importait. II fallait être fort pour gagner et ça n'allait pas plus loin! Mais d'où vient cette force et d'où vient la faiblesse ? La véritable force et la véritable faiblesse ont-elles une réelle existence ? A treize ans, ces questions me préoccupaient. En ce temps-là ma famille avait des terrains occupant cinq miles carrés [près de mille hectares] dans la province d'Hokkaido et j'étais de ce fait le fils d'une famille influente. J'en tirais la conclusion que j'étais le meilleur. Je me demandais toutefois si j'étais ou non vraiment fort comparé aux autres gens ou seulement à cause de ma famille. Je craignais que ma soi-disant force ne soit rien d'autre que le reflet de cette puissance ou de cette autorité. C'est la raison pour laquelle j'ai commencé à étudier le budo.
Bien que certains craignent les gaz asphyxiants, ils ne m'inquiètent pas du tout. S'ils veulent jeter une bombe, qu'ils ne se gènent pas. Qu'ils lancent leurs bombes. Ce sont eux qui sont fous. Quelles que puissent être nos vantardises, nous autres humains ne mourons qu'une fois. Je ne sais pas d'où nous venons en naissant, mais nous retournons définitivement dans notre lieu de résidence antérieur. C'est clairement affirmé par la philosophie de l'affinité dans l'enseignement du Shinwa Taido. Si vous ne maîtrisez pas directement cet aspect [ des choses ], vous ne pourrez jamais créer des techniques véritables. Celles-ci proviennent de jippo ken [l'épée aux dix directions], essence du lien entre le yin et le yang. Sans ce lien rien n'est créé. Si vous et votre partenaire possédez ce lien, essentiel pour votre intuition dans l'étude des arts martiaux, vous pouvez travailler avec lui. Sans cette perception il serait ridicule de le suivre. Cela servirait à quoi ?
.../...
Je vous plains. Vous devriez faire quelque chose de plus profitable. Mais j'imagine que vous n'avez pas le choix ! Je dis souvent à mes élèves de trouver une activité plus profitable et je les préviens que cette pratique de la voie ne les mènera à rien. Cependant, ceux qui viennent s'entraîner apprécient vraiment la pratique pour elle-même. Ils ont toutes les raisons de s'amuser car nous pratiquons des choses qui n'ont encore jamais existé ! L'univers est rond. Il contient des triangles et aussi des carrés. La source d'où jaillit le grand univers est carrée. La Terre est ronde. La forme circulaire se transforme graduellement en triangle. C'est ce que nous étudions. Les gens parlent des pyramides sans réaliser que nous avons tous une pyramide en nous. Chacun possède à l'intérieur des carrés, des cercles et des triangles mais peu de gens savent les utiliser. Personne n'a été capable de leur enseigner à le faire, pourquoi ? J'insiste sur ce point.
Vous devez saisir par vous-même l'essence de l'affinité. Cet enseignement est intransmissible. J'ai pratiqué pendant des années pour chercher à cultiver mon courage. J'ai failli mourir plusieurs fois mais je suis encore en vie. Ils me disent maintenant que je vais mourir d'un cancer. Mais je suis toujours vivant. Je m'entraîne, j'organise des séminaires et je me sens bien. Tous les humains ont un cancer. Si nous n'avions pas de cancer nous ne serions pas vraiment vivants. Le cancer dont tout le monde parle est une chose triviale qui apparaît juste avant la mort. Ueshiba est mort d'un cancer du foie. J'ai été vraiment triste qu'un grand maître du budo comme lui meure d'un cancer.
Dans notre dojo, nous ne faisons qu'un. Nous n'utilisons pas le terme d'égalité qui ne me plait pas. Nous vivons tous ensemble grâce à un iki unique. Seules, les personnes d'une très grande élévation morale ont le droit de parler d'un monde égalitaire. C'est un terme qui devrait être réservé aux kamisama [divinités]. Ce sont eux qui nous ont tout donné, les montagnes, les rivières, l'herbe, les arbres, les oiseaux et les animaux, les insectes et les poissons. C'est pour cela que nous pouvons vivre égaux, grâce aux kamisama. Nous sommes frères et soeurs car nous respirons le même iki. Nous sommes tous unis par un seul iki, par une seule technique et c'est ainsi que le monde est créé. Nous devons comprendre ça. Je pense que la vie devrait être ainsi.
... Je serais heureux si vous arriviez à comprendre que le vrai budo japonais réside dans la substance de l'affinité du Grand Univers. Ce ne sont pas mes paroles, ce sont les mots de Onisaburo Deguchi Sensei. C'est aussi ce que j'ai appris en une vie d'étude approfondie... (1988)

p. 52, 53, 54, 55.


p. 48, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55. retour

Extraits de :
Les Maîtres de l'Aïkido, élèves de Maître Ueshiba - période d'avant guerre, Interviews receuillies par Stanley A. Pranin, Editeur Guy Trédaniel.


retour sommaire