Egami . Mochizuki . Murakami

 

Noriaki Inoue
[aussi nommé Yoichiro, Hoken]
Né à Tanabe, Prefecture de Wakayama, 1902-1994
Fondateur du Shinei Taido

Noriaki Inoue est un neveu de Morihei Ueshiba et fut élevé pendant plusieurs années au sein de la famille de ce dernier, tout d'abord à Tanabe, plus tard à Shirataki, Hokkaido. La plus grande partie de l'expérience de Maître Inoue dans les arts de combat fut acquise sous la ferrule de Morihei Ueshiba, d'abord dans le Hokkaido, puis à Ayabe et Tokyo. La participation d'Inoue comme instructeur assistant sous la direction de Maître Ueshiba commença au milieu des années vingt pour se poursuivre durant la mise en route du Dojo du Kobukan. Plus tard, de 1932 à 1935, il fut instructeur en chef du Budo Senyokai, qui se trouvait à Kameoka ; Inoue enseigna aussi l'Aïki Budo dans différents quartiers d'Osaka.

Inoue prit ses distances avec Maître Ueshiba à la suite des évènements qui marquèrent le second incident de la religion Omoto* et les deux hommes se rencontrèrent peu par la suite. Après la guerre, Maître Inoue enseigna de façon indépendante à Tokyo et nomma originellement son art Aïki Budo. Plus tard il changea ce nom en Shinwa Taido et finalement l'appela Shinei Taido. Au moment de la rédaction de ce livre, profondément croyant et attaché à l'enseignement d'Omoto, il assura activement la formation d'un petit groupe d'élèves à Kunitachi, Tokyo, jusqu'a sa mort en 1994.

* Religion Omoto. Courant religieux créé au 19ème siècle par Nao Deguchi et popularisé par Onisaburo Deguchi. Morihei Ueshiba en devint membre en 1920. Les enseignements de la religion Omoto ont eu une grande influence sur les conceptions métaphysiques du Fondateur de l'Aikido.

p. 23


Maître Inoue : ... J'ai directement enseigné l'Aïkido à la plupart des pratiquants anciens. Seuls Ueshiba et moi avions le droit d'enseigner...
Même actuellement je soutiens l'Aikido. Quand des gens de l'Aikido viennent pour pratiquer je leur dis de ne pas s'entraîner avec nous car notre style est différent...

p. 24


Maître Inoue : ... J'ai quatre-vingt-cinq ans. Je suis arrivé où je suis en ayant commencé mes études quand j'en avais treize (1915)...
j'ai... étudié la philosophie de l'affinité** et les tactiques militaires...

** Affinité [shinwaryoku]. Théorie du flux universel de ki dérivée des enseignements de Onisaburo Deguchi.

p. 25


Maître Inoue : ...mon oncle, mon frère et moi avons étudié le judo ancien. J'avais seulement dix ans à l'époque (préalablement Morihei Ueshiba étudia le Yagyu Shingan-ryu)...

p. 27-28


Maître Inoue : ... J'ai découvert la méthode du Daito-ryu jujutsu de Sokaku Takeda en février 1915 à Shirataki à Hokkaïdo...
mais, je n'ai pas étudié avec Sokaku Takeda...
je m'entraînais souvent avec mon oncle (j'avais douze ou treize ans)...

p. 30-31


Maître Inoue : ...je suis allé plusieurs fois avec lui à l'auberge d'Hisada (où il s'entraînait avec Sokaku Takeda).
(Puis) Morihei dit qu'il voulait étudier cet art. Mon père et le sien discutèrent de cette idée et décidèrent de financer la construction d'un dojo à Shirataki et d'inviter Takeda Sensei à y enseigner... Mon père pensait lui aussi que ce serait une bonne chose d'avoir un homme de budo* dans notre famille.

* Budo est généralement traduit par "art martial". Une meilleure approximation serait la "Voie martiale" ce qui implique une discipline centrée sur le développement de la force de caractère et de la spiritualité et pouvant se pratiquer la vie durant.

p. 32


Maître Inoue : J'ai entendu parler de la religion Omoto pour la première fois en 1917. En 1920, à l'âge de dix-neuf ans, je suis allé à Kaméoka pour étudier avec le Révérend Onisaburo Déguchi. Après cela, j'ai été autorisé à rester à Ayabé très longtemps...

Le Révérend Déguchi... affirma que le nom de Daïto-ryu jujutsu n'était pas approprié pour cet art. Il... suggéra le terme de Aïki pour le remplacer (Aïki. Ki ou énergie unifiée ; ce terme représente le concept d'harmonie avec l'adversaire, principe fondamental de l'Aïkido)...

La réalité du flux d'énergie [nagare no jitsuzon] est constante.
Beaucoup de choses sont créées par la réalité de ce flux...

p. 33-34-35


Maître Inoue : Quand j'ai eu vingt-trois ans, après avoir reçu la permission du Révérend Deguchi, je suis retourné dans ma ville natale, la Préfecture de Wakayama. Afin de perfectionner ma compréhension de l'affinité, je commençais, avec beaucoup d'ambition, un tour du Japon, mushashugyo (entraînement itinérant, traditionnel dans les arts de combat). Il est impossible de savoir si ce que l'on a appris est vraiment bon ou mauvais, fort ou faible, à moins de l'avoir réellement essayé. Les gens de Tanabe ne me prenaient pas au sérieux. Mais là-bas, j'ai eu beaucoup de succès. De nombreux journaux sont venus pour décrire ces évènements et ils ont écrit de nombreux articles...

... Alors j'ai dit à Ueshiba... "si nous devons enseigner notre art à tout le monde, pourquoi ne pas le faire à Tokyo"...
j'ai commençé à enseigner le budo dans différents endroits de Tokyo.
Je fus la première personne au Japon qui donna des cours à la police militaire...

C'était vers 1925...

Un jour, l'amiral Takeshita me dit: "M. Inoue, votre esprit de kokyu* et votre puissance motrice sont uniques." Je lui répondis que je n'utilisais jamais kokyu dans l'exécution des techniques mais plutôt iki**. Il me répondit: "Oh, je vois. C'est pour ça que c'est différent. Pouvez-vous venir chez moi et me montrer ce que vous appelez 'iki' ?" Alors, nous avons éclaté de rire. J'ai commencé récemment à utiliser le terme de "iki". Nous respirons depuis notre naissance. J'ai dit à mon oncle quand il vivait encore : "La puissance de kokyu n'est rien. Les choses sont créées grâce au "iki" d'Aïki et à leur propre "iki". C'est là que se trouve musubi [la connection]." Car ces deux "iki" sont unis, les choses sont créées par cette connection. C'est ce musubi qui a créé le grand univers et nous avec lui. Nous ne devons pas oublier ça. Maître Ueshiba me dit: "l'Aiki est l'amour." Mais c'est absurde. Il n'est pas aussi petit que ça. "A" est la voix du Ciel. "Iiii" est le ki. "Aaa" et iki sont en perpétuel mouvement...

* Kokyu, souffle, souvent utilisé dans les arts martiaux comme synonyme de ki.
** Iki, souffle, action de respirer, synonyme de kokyu.

p. 35-36-37


Maître Inoue : A cette époque, il existait des enseignants de différents arts de combat comme le kenjutsu, le Judo et le Karate. Nous n'avions pas le droit de perdre contre ces hommes-là. A cette époque, il fallait gagner. J'ai gagné tous mes matchs. Mais il fallait gagner loyalement, avec dignité. Par exemple, Kosaburo Gejo Sensei, que j'ai déjà mentionné, était un officier de marine du même groupe qu'Isamu Takeshita Sensei. Il quitta la marine avec le grade de lieutenant-colonel ou quelque chose d'approchant. C'était un expert connu du Yagyu-ryu. Je fus le premier à le rencontrer en compétition, un petit homme comme moi. Je paraissais sans défense et c'est pourquoi il a été vaincu. Si j'avais donné une impression de force il se serait appliqué, mais il a dû croire qu'un match avec une personne aussi petite que moi n'avait pas d'importance. Son sabre a frappé droit sur moi et j'ai pû l'attraper. Il ne pouvait plus lever son arme. Ce principe se trouve aussi dans la philosophie de l'affinité dont j'ai déjà parlé. Quel poids ajouterait une feuille de papier à une masse de plusieurs tonnes ? Vous pensez que la feuille de papier n'a que la force d'une feuille de papier. Pourtant, elle possède mille fois cette force quand elle descend de très haut. Vous devriez étudier ça.
Par exemple [Inoue Sensei prend un sabre dans sa main], j'ai pris son arme comme ceci [par le dessus] dans la fraction de seconde qui a suivi son attaque. Dès ce moment il ne pouvait plus bouger. Si je tirais son arme il était forcé d'avancer et si je poussais vers lui il s'envolait en arrière ! Si je l'immobilisais, il était obligé de suivre. [Montrant la prise] vous pouvez faire ce que vous voulez. Si vous mettez votre arme ici, c'est dangereux, là c'est sans danger. [Il effectue la démonstration]. Dans la tradition de l'école Yagyu Shinkage ils disent que cette action est appelée mutodori [technique de désarmement], mais c'est ridicule. Si vous agissez de cette façon vous serez projeté.
Comme il s'agit finalement de Yin et de Yang, nous avons à faire à un véritable flux entre le ciel et la terre. Ca fait vrooom.... C'est le mouvement de l'affinité de l'univers. M. Gejo fut battu en un seul mouvement et projeté vers l'avant.
Alors il réalisa que je tenais sa propre épée et il fut vraiment surpris !..

p. 38-39


Maître Inoue : Avant qu'il ne m'atteigne j'entrai et je me trouvai en position d'irimi. Il n'était pas dans une position qui lui permettait de me projeter alors que moi j'aurai pu le faire... Alors il se mit en position de gyaku, garde inverse, pour entrer. Mais j'avais étudié les positions de fausse garde depuis mon enfance. Si je vous frappais dans cette position, vous tomberiez. Je crois avoir appris ça de mon grand-père quand j'étais encore tout petit...

p. 41


Maître Inoue : C'est grâce à Onisaburo Deguchi Sensei que Maître Ueshiba devint extrêmement fort. Sans ce professeur, il n'aurait jamais atteint une telle grandeur. Nous ne devrons pas l'oublier. Comme j'étais son neveu, je me querellais constamment avec lui et quand nous pratiquions ensemble, notre entraînement était complètement différent d'une pratique normale. Toutefois, Ueshiba enseignait à sa façon et je m'y conformais à cause de ma situation...

p. 43


Maître Inoue : Un jour, Mitsujiro 6ème dan de judo me dit : "Je me demande pourquoi je n'arrive pas à projeter un petit homme comme vous Sensei ! Normalement c'est facile de projeter quelqu'un de petit. Mais quand j'essaie de vous soulever vous paraissez très lourd. Je me demande pourquoi." Je lui dis que ce n'était pas moi qui étais lourd, mais plutôt lui qui était alourdi. Il ne comprit pas ce que je voulais lui dire. Comme je vous l'ai déjà dit un rocher pesant plusieurs tonnes est extrêmement lourd. Mais, bien qu'il soit lourd en-dessous, il est facile de manipuler le rocher par-dessus. J'étais fermement attaché au sol. Vous pouvez pousser ma tête, mais de toute autre façon, il est impossible de me faire bouger...

après l'entraînement... je préférais prendre un bain, et m'asseoir tranquillement en seiza et manger quelque chose de léger. En faisant cela, j'arrivais à développer une puissante vertu à travers tout mon corps...

p. 46


Maître Inoue : Après la guerre, j'ai donné des cours à des officiers de l'US Air Force à la base de Tachikawa [à Tokyo]... Il y avait un homme... qui appelait mes techniques des "techniques divines." Au début il ne me prenait pas au sérieux à cause de ma petite taille. Il pensait que cela serait ridicule d'être battu par une personne aussi petite que moi. Au moment où il m'a attaqué je l'ai projeté. Il était secoué... Je regrettai ce que j'avais fait, je lui tendis les mains pour l'aider à se relever et lui demandai s'il allait bien. Il me dit que c'était de sa faute. J'ai été surpris de l'entendre faire un tel aveu. Jamais un Japonais n'admettrait une chose pareille. Alors j'ai pensé qu'en fait c'était lui qui m'avait battu. Il me dit encore : "Sensei, c'est entièrement de ma faute. Je mérite ce qui m'est arrivé car j'ai douté de vous. J'aimerais vous présenter mes excuses." Je lui dis: "Pardonnez-moi car j'ai manqué de maturité. Je n'ai pas perçu correctement votre intention. Si je l'avais comprise je ne vous avrais pas blessé. Je vous ai projeté avec brutalité pour que vous me preniez au sérieux. Pardonnez-moi..."

p. 47-48


Maître Inoue : J'ai appelé mon art Aïki Budo jusqu'en 1956 ...


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Extraits de :
Les Maîtres de l'Aïkido, élèves de Maître Ueshiba - période d'avant guerre, Interviews receuillies par Stanley A. Pranin, Editeur Guy Trédaniel.


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