Egami . Mochizuki . Murakami

 

Vivre ou mourir, ce sujet a toujours été une source d'inspiration car il contient l'une des vérités fondamentales de notre existence. Disons seulement que, pour l'essentiel, les arts martiaux japonais, ou budo, proposent une vision du monde très systématique et très originale : c'est dans le face à face avec la mort que nos vies s'accomplissent et prennent leur sens...

Rencontre avec Maître Shigeru Egami (1912-1981)

... pour raconter l'histoire de la période précédant la naissance du Shintaïdo, il est nécessaire, vous voudrez bien m'en excuser, que je parle un peu de moi (il s'agit du fondateur du Shintaïdo : Hiroyuki Aoki)...

Au cours de l'automne de ma deuxième année d'université, environ un an et demi, après avoir rejoint le club de karaté, Maître Shigeru Egami, appelé le "Maître fantôme", fit son apparition à Tokyo après avoir passé plusieurs années à la campagne. Nous lui demandâmes alors de se charger de notre instruction. Au même moment, je devins capitaine du club de karaté de l'Université Chuo et commençais à diriger les cours. J'étais désormais entièrement pris dans l'engrenage. L'enseignement de Maître Egami était comme un brillant soleil pénétrant la pénombre. Il avait été l'un des meilleurs étudiants de Maître Gichin Funakoshi, le fondateur du karaté-do moderne et le premier à introduire le karaté d'Okinawa au Japon. Maître Funakoshi enseignait à ses étudiants qu'il n'y avait pas dans le karaté de titre à conquérir et ainsi pas de règles rigides et contraignantes. Par la suite, Maître Egami, développant cette idée, nous enseigna que la pratique du karaté implique de rentrer en compétition avec soi-même. Vous n'avez qu'un seul ennemi, répétait-il, vous-mêmes. Il bouleversa complètement nos conceptions traditionalistes et féodales de la pratique. De plus, l'entraînement qu'il proposait était sans rudesse et étonnamment détendu. Il ne tolérait pas la moindre manifestation de sadisme ou d'oppression. De par son enseignement, les mouvements du karaté me semblaient soudain très proches de la vision fondamentale qui animait tous les artistes et philosophes que j'aimais au Japon ou à l'étranger. Il nous fit découvrir le Ki, ou courant d'énergie vitale, et des mouvements détendus et naturels, inconnus du monde du karaté traditionnel. Alors qu'il commençait à enseigner à notre club, Maître Egami s'étonnait souvent de ce que le karaté soit devenu si dur et si tendu, " il fut un temps où le karaté était beaucoup plus souple et harmonieux " nous disait-il. Il nous répétait souvent qu'il fallait rechercher des mouvements plus détendus qui pourraient être pratiqués même par des vieux ou des malades. Le but qu'il avait constamment en tête était de créer une nouvelle approche du Heiho - " s'entraîner même dans la vie quotidienne " - en adaptant les simples et rustiques techniques de combat provenant des îles de la mer de Chine.
L'enseignement de Maître Egami reste d'une inestimable valeur pour quiconque est à la recherche d'un art martial authentique. Il nous apprit à débarasser autant que possible notre corps de ses tensions en approfondissant la concentration et en méditant correctement, à utiliser la puissance holistique, ou intégrale, plutôt que la force provenant d'une seule partie du corps, à produire un mouvement détendu et naturel sans tension inutile dans les épaules. Il s'agit là d'éléments fondamentaux, pour le karaté, mais aussi pour tout art utilisant les mouvements du corps. Le Shintaïdo conserve tous ces éléments car ils sont indispensables. Etre naturel et se déplacer comme on l'entend doit suffire. Lorsque je rencontrais Maître Egami son corps était marqué et prématurément vieilli par la pratique sévère à laquelle il s'était astreint, mais il était encore aussi mince et souple que Nijinski. Il était aussi très intelligent et très humain, qualités qui caractérisaient d'ailleurs tous les anciens élèves de l'Université Waseda. Sa droiture et son sens de l'humour lui avaient gagné l'amour et le respect de ses jeunes élèves. Pendant cette période, je vivais chez Maître Egami et lui servais d'assistant. Parfois, lorsque je rentrais épuisé d'un entraînement, surtout si sa femme n'était pas là, il préparait le dîner pour moi, chose qu'il ne faisait jamais pour lui-même, même si sa femme était malade. Cela m'étonnait toujours et je mangeais ce qu'il avait préparé, partagé entre la stupéfaction et la gratitude. Aujourd'hui encore je peux me souvenir des légumes frits grossièrement coupés qu'il me préparait. Tous les matins et tous les soirs je recevais de sa part conseils et enseignements, plus qu'aucun autre élève. Mais plus il faisait preuve de son amour plus augmentait ma confusion parce qu'à l'origine j'avais choisi d'approcher la connaissance par l'art plutôt qu'en suivant le tao, ou "la voie de l'apprenti". Ce conflit me poursuivit pendant longtemps, même après que j'eus quitté le monde du karaté.

Pendant ma période karaté j'étudiais beaucoup de choses mais deux activités, particulièrement gratifiantes, m'occupaient surtout. L'une était le gorei (conduire ou diriger une pratique de groupe, semblable la direction d'une orchestre) que je donnais tous les jours, l'autre un vaste projet lancé par Maître Egami : rassembler, arranger et photographier tous les kata de karaté transmis de génération en génération.

Dans la seule perspective de l'auto-défense, les kata traditionnels, qui étaient à l'origine d'authentiques techniques de combat, sont beaucoup plus efficaces que les kata plus récents. Ces derniers contiennent des formes empruntées à la gymnastique pour que les débutants puissent développer leur capacité physique. Mais les kata traditionnels, s'ils nous indiquent bien comment survivre à une situation critique, nous enseignent aussi des techniques de "respiration" permettant d'acquérir le plus haut niveau de concentration... (Dans le karaté, comme dans les arts martiaux traditionnels, il y a en plus des techniques de combat des méthodes secrètes de développement de la concentration, de la puissance de la volonté et du heijoshin - " la capacité de se conduire face au danger aussi tranquillement que dans la vie de tous les jours ". Un adepte qui découvrait et pratiquait ces méthodes entrait dans un état d'extase et pouvait même parfois accéder à une vision cosmique du monde. Pour l'adepte d'un art martial, ne pratiquer que les techniques de combat revient à combattre avec une main attachée dans le dos. Ce type d'étude limitée conduit invariablement à une conception totalement erronée de la vraie valeur des arts martiaux).
Quarante kata de karaté et quatre kata de Bojutsu sont rassemblés dans le livre de Maître Egami : Kata de karaté-do pour professionnels... J'ai eu le grand honneur de présenter les kata de ce livre qui constitue une appréciable source de références pour quiconque s'intéresse aux arts martiaux classiques... (à la demande de Maître Egami, Hiroyuki Aoki dirige les cours de Shotokaï au Karaté Hall de Tokyo pendant sept ans... le fondateur de l'Aïkido, Morihei Ueshiba et Shigeru Egami, avaient l'habitude de dire que soixante dix pour cent des arts martiaux se trouvaient dans tsuki ("frapper" ou "pousser") et les trente pour cent restant dans nage ("projeter")).
Rassembler ces kata était un travail ardu, que je menais pourtant de front avec l'étude d'autres disciplines corporelles. Pour anticiper, disons que ces études furent couronnées par la découverte de Tenshingoso, une forme dépassant toutes les formes traditionnelles et qui devint la première technique de base du Shintaïdo.
En même temps, je formais mon propre groupe, le Rakutenkai, dont tous les membres étaient profondément engagés dans les intenses activités de recherche qui devaient mener à la création du Shintaïdo.

Tenshingoso n'aurait pas pu voir le jour sans les exigeantes mais aimables suggestions de Maître Shigeru Egami... Il m'initia également à la pratique du Shinwataïdo, art martial créé par Maître Hoken Inoue qui est lui-même considéré par beaucoup de spécialistes des arts martiaux comme un "trésor national vivant".
J'appelais notre mouvement "Shintaïdo" - Nouvelle Voie du Corps - pour son universalité, son éclat et sa simplicité. Mais peut-être aussi étais-je influencé par le nom Shinwataïdo qui signifie "étude physique de la paix et de l'unité".
Par la suite, Tenshingoso se développa et nous découvrîmes de nombreuses variantes à ce mouvement... nous créâmes un nouveau karaté, de nouvelles formes de Bojutsu, Jojutsu, Jujutsu, Kenjutsu et Naginata sans avoir à dévier des principes de base de Tenshingoso...

p. 17-18-19-20-22-124-34-22-41-42

Extraits de Shintaïdo, Un Art de Mouvement et d'Expression de la Vie, par Hiroyuki Aoki, édité par la Fédération Française De Shintaïdo 3, rue du stade 78300 Poissy.


retour sommaire