En fonction de ce qui va
suivre, on peut supposer que si à partir de la lumière originelle
a lieu la création, cette lumière réside au coeur même
du plus petit constituant de tout ce qui existe et par la même elle est
ce qu'il y a de plus grand.
le petit carthésien
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... "A l'origine, la Réalité
(Bhairava) consiste uniquement en une lumière (prakasa), qu'anime
l'acte de prise de conscience d'elle-même (vimarsa) ; elle n'est
autre que l'essence du Bhairava pleine de la modalité du Je transcendant
fait de la conscience de la liberté absolue." (Paratrisika, commentaire
d'Abhinavagupta p. 90, 1. 12.)
... Ksemaraja définit clairement le terme
'bhairava' dans sa glose aux Sivasutra : 'udyamo bhairva', l'acte
d'extase, c'est le Bhairava. "Udyama, dit-il est le jaillissement
de la suprême illumination, essor imprévisible de la conscience,
c'est-à-dire, acte de prise de conscience de soi..."
... Bhairava désigne donc Paramashiva en lequel
s'unissent indissolublement Shiva et Shakti... prakasa, l'anuttara
ou Shiva-Bhairava est la lumière indivise de la Conscience qui brille toujours
identique à elle-même ; vimarsa, shakti ou la Déesse-bhairavi,
est l'énergie qui prend conscience d'elle-même en révélant
" la béatitude du Soi, sa plénitude indifférenciée
et sa Beauté qui remplit l'univers"... le Bhairava est identique à
Bhairavi comme le feu à son pouvoir de brûler...
(Le Vijnanabhairava. Lilian Silburn, 1961-1976, Paris, 1983. p. 13-14)
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Voici quelques versets du Vijnana Bhairava (qui collent bien avec l'esprit de
Yang Tchou), Traductions et commentaires de Lilian Silburn :
sloka 71
Anande mahali prapte drste va bandhave cirat / (2)
anandam udgatam dhyatva tallayas tanmana bhavet // (3)
... Ou encore à la vue d'un parent dont
on a été longtemps (séparé), on accède à
une félicité très grande. Ayant médité sur
la félicité qui vient de surgir, on s'y absorbe, (puis) la pensée
s'identifie à elle.
... L'auteur enseigne ici à se concentrer
sur la source jaillissante de la félicité, l'acte pur (spanda)
appréhendé en son premier frémissement. Mais pour s'emparer
de cette félicité dès qu'elle surgit, l'attention doit être
particulièrement vibrante parce que le flot de la félicité
passe avec une extrême rapidité. On ne peut donc s'en emparer si
l'on n'a, au préalable, apaisé les fluctuations mentales.
... Nous sommes dans la voie de l'énergie,
la béatitude encore indivise menant à la conscience indifférenciée.
sloka 72
Jagdhipanakrtollasarasanandavijrmbhanat (4) /
bhavayed bharitavastham mahanandamayo (5) bhavet //
... Grâce à l'épanouissement
de la félicité que comporte l'euphorie (6) causée par la
nourriture et la boisson, qu'on adhère de tout son être à
cet état de surabondance et l'on s'identifiera alors à la grande
Félicité.
... D'après Sivopadhyaya, on éprouve
une certaine sécheresse et aridité des conduits du corps lorsque
la nourriture fait défaut ; mais après un grand festin, tous les
organes baignent dans l'euphorie et dans l'exubérance que produit une expansion
du rasa. Ce rasa consiste, dit-il, en un attendrissement (snehardrata)
qui est tout le contraire de la sécheresse. Si l'on s'adonne sans réserve
à cette plénitude, on parviendra à s'identifier à
elle et l'on jouira d'une félicité universelle accompagnée
de la parfaite conscience de soi.
... C'est ce que confirme Ksemaraja : « Même
au cours de la félicité limitée procédant de tel ou
tel objet, la pensée unifiée pénètre dans la Réalité
suprême (1). »
sloka 73
Gitadivisayasvadasamasaukhyaikatatmanah /
yoginas tanmayatvena manorudhes tadatmata (2) / /
... Si un yogin se fond dans le bonheur incomparable
éprouvé à jouir des chants et autres plaisirs sensibles,
parce qu'il n'est plus que ce bonheur, (une fois) sa pensée stabilisée,
il s'identifiera (complètement) à lui.
... Tout plaisir, même celui qui procède
d'objets ordinaires, n'est au fond qu'une parcelle de la félicité
infinie du brahman, réalité sous-jacente aux divers états
et constamment présente, bien que nous ne l'éprouvions que sous
une forme impure et limitée. Il suffit donc que le réseau des relations
artificielles soit emporté par la félicité née du
plaisir sensible pour que la félicité cosmique et sans borne se
révèle pleinement.
... Après avoir traité des jouissances
variées - d'ordre gustatif, sexuel ou autre - que procure la vie courante,
notre auteur décrit maintenant les joies artistiques qui en diffèrent
du fait qu'elles ne s'accompagnent pas des « modifications extrinsèques,
obstacles, soucis journaliers, qui viennent habituellement contrecarrer la jouissance
» (3).
... Abhinavagupta dit encore : « A l'aide de
poèmes ou de danses, etc., l'on s'absorbe dans la saveur esthétique
(rasa), et l'on appelle la jouissance qui en résulte ' plaisir esthétique,
félicité, repos dans l'essence du sujet connaissant ' (rasana,
carvana, nirvrti, pramatrtavisranti). Le coeur, ou prise de conscience de
soi (paramarsa), en est le facteur prépondérant. (Si la conscience
de soi (vimarsa) y brille clairement), par contre, la lumière consciente
(prakasa) n'y parait pas en évidence ; en effet, bien qu'on supprime
l'écran qui obscurcit la vision de la Réalité, néanmoins
les tendances résiduelles inconscientes font (encore) obstacle à
la manifestation de cette Lumière. C'est pourquoi la jouissance artistique
nous donne un aperçu de la joie propre au sujet conscient mais ne la révèle
pas dans tout son éclat comme le fait la félicité mystique.
»
... Si, par contre, il ne s'agit plus d'un homme
de goût mais d'un yogin « dont le coeur est perpétuellement
attentif à écarter l'écran qui obscurcit (la Lumière
de la Réalité), celui-ci pourra, au cours des jouissances artistiques,
accéder à la plus haute des félicités » (1).
Lorsqu'un yogin plongé dans un recueillement profond entend un chant d'une
beauté extraordinaire, sa pensée s'absorbe en lui, et se stabilise
; ainsi accrue et sublimée (2), elle s'élève à une
jouissance si intense que, s'oubliant lui-même, le yogin se perd momentanément
dans cette jouissance, il n'est plus que chant, et tout le connaissable s'évanouit.
Ayant pénétré dans le spanda, étreignant l'énergie,
il arrive, grâce à son contact, à s'identifier définitivement
à la jouissance intériorisée qui rejoint alors le suprême
brahman (3).
... Cette strophe dégage bien les conditions
de l'intuition mystique : d'une part, détente et inhibition des fluctuations
mentales, disparition des obstacles et de l'objectivité en général,
stabilité unifiée de la pensée ; de l'autre, accroissement
de l'efficience ou intensité vibrante (spanda), en sorte que tout
à coup un simple stimulus sensoriel, comme un son plus mélodieux
de ce chant, pourra déclencher l'illlimination.
... Telle est l'interprétation que donne de
ce sloka le Tantraloka en expliquant les effets inattendus qui résultent
de la jouissance artistique par un afflux de la virilité (virya)
ou puissance de la conscience : « De beaux sons suscitent une surabondance
d'efficience et soudain, chez un homme bien attentif, la Conscience s'épanouit
(4), »
... Cette efficience (virya) plonge ses racines
dans la volonté (iccha) à l'état nu et s'associe,
d'après Abhinavagupta, au désir subtil d'engendrer.
... Il semble que l'absorption ici décrite
fasse partie de la voie de l'énergie mais Sivopadhyaya l'attribue à
la voie de Siva.
sloka 74
Yatra yatra manas tustir manas tatraiva dharayet /
tatra tatra paranandasvarupam sampravartate (5) / /
... La où la pensée trouve satisfaction,
c'est en ce lieu même qu'il faut river (cette) pensée (sans fléchir)
; c'est là, en effet, que l'essence de la suprême félicité
se révèle pleinement.
... Dès qu'on est satisfait, le désir
disparaît et l'agitation s'apaise ; on prend son repos en soi-même
car le Je qui contient tout ne peut rien désirer que lui-même.
... « La portion de félicité,
dit Abhinavagapta, qui réside dans tout plaisir de la vie courante n'est
que la prise de conscience de son propre Soi (1). » Cette conscience s'accompagne
d'une béatitude incomparable.
... Citant nos strophes 72 à 74, Ksemaraja
attribue la félicité ressentie à la stabilisation de la pensée
(cittanivesana) et fait de ces expériences un moyen d'épanouir
le centre ( atra madhyavikase upayah) (2). Elles appartiennent toutes à
la voie de l'énergie puisqu'il s'agit de détente et de satisfaction
spontanées.
sloka 75
Anagatayam nidrayam pranaste bahyagocare /
savastha manasa gamya para devi prakasate // (3)
... Lorsque le sommeil n'est pas encore venu et
que (pourtant) le monde extérieur s'est effacé, au moment où
cet état devient accessible à la pensée, la Déesse
suprême se révèle.
... Durant les instants de détente ou se confondent
les frontières de la veille et du sommeil, la pensée reste lucide
mais le monde extérieur s'estompe, les sens ne fonctionnent plus et les
fluctuations mentales se trouvent momentanément suspendues.
... Cet état intermédiaire (madhya),
exempt d'obstacles, est appréhendé par citi, une pure pensée,
et ne diffère pas de l'énergie divine. La Kaumudi cite une stance
à ce sujet : « Cet état qui apparaît au début
du sommeil et à la fin de la veille, si on l'évoque, on jouira en
personne d'une félicité impérissable. »
... Une célèbre karika explique
: « Le pleinement illuminé réalise toujours et constamment
l'Acte de pure conscience (spanda) dans les trois états (veille,
rêve et sommeil profond). Mais l'autre (le partiellement éclairé)
n'en jouit qu'au commencement et à la fin de ces états » (4),
c'est-à-dire d'après Ksemaraja aux seules périodes de transition
entre veille et sommeil, quand il jouit d'une détente vigilante, favorable
à l'intériorisation.
... Chez un yogin plus avancé, ce demi-sommeil
prend l'aspect de yoganidra, sommeil spirituel bien connu des mystiques
(5). C'est en ce sens que Ksemaraja interprète notre verset qu'il cite
dans un autre passage de sa glose à la Spandakarika ; pour lui, le yogin
insuffisamment éveillé à la vie mystique (aprabuddha),
rarement favorisé de l'illumination, repose entre temps dans un état
crépusculaire où le corps sommeille tandis que le coeur veille.
Ce sommeil lucide n'est pas alourdi par la torpeur et l'inconscience des états
oniriques ordinaires : « Le Maître qui supporte l'univers, dit-il,
apparaît clairement et sans voile dans la voie médiane du yogin qui
accède au sommeil spirituel (yoganidra) et qui s'adonne sans défaillance
à une méditation vigilante et ardente (1). » Et le Seigneur
lui accorde tout ce qu'il désire.
... Ainsi baignant dans l'intimité du Soi,
endormi à tout ce qui n'est pas Siva, le yogin s'éveille soudain
à la félicité, expérience incommunicable qu'il faut
éprouver par soi-même (2).
... Selon Sivopadhyaya il s'agit de la voie de Siva.
(Vijnana Bhairava, sloka 71 à 75, p. 113 à 117)
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... Paramasiva qui embrasse en lui-même la
transcendance et l'immanence - à savoir Siva et sakti parfaitement
indifférenciés - est la conscience absolue qui a pour caractère
essentiel la liberté (svatantrya), éternelle vibration (spanda)
ou Coeur du Seigneur. Cette Conscience révèle sa toute-puissante
liberté...
... Il suffit donc que la Conscience ou Centre (4)
s'affranchisse de ses processus dualisants pour qu'elle recouvre sa pureté
native dans laquelle l'univers se reflétera en son intégrité
et non plus dans sa fragmentation mutilé (5). Rien, en effet, ne doit être
nié dans la véritable conscience de soi, car rien ne s'oppose à
elle (6), tout n'étant que conscience.
... (4.) Comme le V. B. se plait à la nommer
madya... ou plénitude indifférenciée sous-jacente
résidant au coeur des choses.
... (5.) Notre image pèche, elle aussi, par
son dualisme. En fait l'univers ne se reflète plus dans la conscience,
il s'identifie à elle dès qu'on parvient à la suprême
étape.
(Vijnana Bhairava, Traduction et commentaires de Lilian Silburn, p. 15) ... retour à l'index